
Les Rendez-vous de l’ORC : les artistes face à l’entrepreneuriat
Le 2e Rendez-vous de l’ORC a eu lieu le jeudi 22 mai à la Ferme des Tilleuls à Renens sur le thème « Les artistes : entrepreneur·euses par nécessité ? ».
Les artistes sont-ils·elles des auto-entrepreneurs ? L’étude «Parcours des artistes en Suisse romande : ressources et étapes clés», publiée en 2024 par l’Observatoire romand de la culture (ORC), a mis en lumière un paysage caractérisé par un environnement économique précaire et des obstacles persistants, exigeant une grande polyvalence et une capacité d’adaptation.
Les artistes doivent ainsi développer une gamme étendue de compétences, de la gestion d’équipe à la communication, en passant par la comptabilité. Un exemple parmi d’autres : 82% d’entre elles·eux consacrent au moins 5 heures par semaine à la gestion de projets, dont 42% plus de 10 heures et 23% plus de 20 heures. Cette polyvalence amène nombre d’entre elles·eux à devenir de véritables entrepreneur∙euses, souvent par nécessité, au détriment de leur pratique artistique.
Pour discuter des résultats de l’étude, l’ORC a invité les acteur·ices culturel·les à prendre part au 2e Rendez-vous de l’ORC, jeudi 22 mai 2025 à La Ferme des Tilleuls, à Renens. Une vingtaine de personnes ont participé à ce moment d’échange fructueux.

En préambule, Catherine Kohler, chargée de recherche, a présenté les résultats de la recherche. Puis Olivier Glassey, directeur de l’ORC, a animé la discussion avec les trois intervenant·es invité·es à prendre part à la table ronde : Michelle Dedelley, cheffe du service Culture-Jeunesse-affaires scolaires de la Ville de Renens, Julie Marmet, membre du comité de Visarte Genève et Raphaël Ortis, membre du comité de la Fédération Genevoise des Musiques de Création (FGMC). Le public a également contribué à la discussion, nourrie des expériences de chacun·e dans différents domaines artistiques.
« Diminuer le côté procédurier »
Michelle Dedelley a insisté sur l’importance des relations humaines entre les instances publiques et les acteur·ices culturel·les. « Un artiste qui vient toquer à la porte du Service de la culture pour discuter d’un dossier, cela n’arrive plus, déplore-t-elle. Or, je trouve que cette accessibilité humaine, c’est quelque chose qu’on devrait pouvoir offrir aux artistes et aux acteurs et actrices culturel·les. » Elle a également pointé la difficulté pour les responsables politiques à prendre en considération le « temps non chiffrable » et « non palpable » de la production artistique. Selon elle, la solution serait de « diminuer le côté procédurier » afin de libérer du temps pour la création.

Du point de vue des arts visuels, Julie Marmet a souligné que les plasticien·nes ont longtemps été rémunéré·es « en visibilité », ce qui, en plus d’entraîner une précarité financière, les prive souvent d’un véritable statut (salarié ou indépendant). « C’est le serpent qui se mord la queue », a-t-elle imagé. Pour y remédier, Visarte a conçu une formation pour accompagner les artistes dans la gestion de projet. Julie Marmet souligne également l’utilité des bureaux de production – dont Arroi qu’elle a co-fondé – pour soulager les créateur·ices des démarches administratives. En revanche, elle déplore la complexité des critères des bailleurs de fonds, qui mène selon elle selon elle à une multiplication absurde des structures associatives, souvent créées uniquement pour répondre à ces exigences administratives.

Issu des musiques actuelles, Raphaël Ortis a quant à lui attiré l’attention sur les différences géographiques entre cantons, rappelant que le modèle genevois, très centré sur le tissu associatif, ne fonctionne pas partout. Il a également posé la question du soutien au processus de création : « Ce qui est soutenu dans la musique, ce sont les tournées, la production d’un disque, mais jamais le travail d’idéation, les répétitions et la part administrative. On ne parle pas de la part invisible de la création », déplore-t-il.

Annabel Glauser, secrétaire générale de l’Association Les Compagnies vaudoises, a elle aussi défendu l’utilité des bureaux de production pour soulager les artistes de la charge administrative, mais a relevé les obstacles financiers : « Toutes les compagnies ne peuvent pas déléguer le travail de la recherche de fonds, par exemple, à une boîte de prod qui le fera pour elle. » Elle a également plaidé pour des collaborations renforcées entre les différentes disciplines artistiques : « Je trouverais génial qu’on puisse en parler de manière transversale et que tous les domaines puissent aussi profiter de ce qui existe, de ce qui est fait dans les autres. »
Fatigue administrative
Humoriste et comédien, Karim Slama, a partagé son expérience dans le milieu des arts de la scène. « J’ai décidé par fatigue de reprendre un job à 40%. J’ai l’énorme chance d’avoir une première formation d’ingénieur, ce qui m’a permis d’avoir un job alimentaire qui est plutôt bien rémunéré. » L’artiste vaudois estime qu’il est essentiel de former des administrateur·ices et d’arrêter d’attendre des artistes qu’ils assument toutes les tâches, de la création à la communication en passant par la gestion RH.
Léo Marti, musicien, a comparé les disparités dans le soutien entre genres musicaux et a salué le modèle du cinéma, où seules les structures de production peuvent soumettre des projets, favorisant une clarté budgétaire et un cadre professionnel plus stable.
De son côté, Maxime Barras, co-président de Visarte Fribourg, a critiqué la multiplication des appels à projets, qui surcharge les artistes et les services culturels. Il ainsi a plaidé pour davantage de soutiens structurels pluriannuels, permettant aux artistes de planifier leur travail sur la durée et de se consacrer réellement à leur processus créatif.
Cette table ronde a révélé un consensus : si les compétences administratives sont désormais incontournables dans les carrières artistiques, leur poids croissant menace l’équilibre du travail de création. Une réflexion collective et transversale semble indispensable pour repenser les modèles de soutien et valoriser à sa juste mesure le travail artistique en Suisse romande.